Blaise Pascal
Le « Divertissement » (1670)

Malgré la force et le soutien de la pensée, la vérité est pour l'homme comme un soleil aveuglant que son regard ne peut supporter. Tout son comportement se ressent à cette impuissance. Pour tenter d'échapper à sa condition misérable, il a recours au divertissement, c'est-à-dire à la fuite dans l'activité, dans l'agitation. Il n'a qu'une idée : remplir le vide de sa vie, échapper, par tous les moyens, à la conscience de sa faiblesse et de son néant.

168 Divertissement Quand je m'y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s'exposent dans la cour, dans la guerre, d'où naissent tant de querelles, de passions, d'entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j'ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s'il savait demeurer chez soi avec plaisir, n'en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d'une place. On n'achète une charge à l'armée, si chère, que parce qu'on trouverait insupportable de ne bouger de la ville. Et on ne recherche que les conversations et les divertissements de jeux que parce qu'on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Etc. Mais quand j'ai pensé de plus près et qu'après avoir trouvé la cause de tous nos malheur j'ai voulu en découvrir la raison, j'ai trouvé qu'il y en une bien effective et qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près. Quelque condition qu'on se figure, où l'on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste du monde. Et cependant, qu'on s'en imagine un accompagné de toutes satisfaction qui peuvent le toucher. S'il est sans divertissement et qu'on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu'il est, cette félicité languissante ne