BNF Le siècle des Lumières un héritage pour demain 11
Tzvetan Todorov
En Europe et dans les parties du monde qui en dépendent, l'esprit des
Lumières a, incontestablement, remporté une victoire sur l'adversaire qu'il combattait. La connaissance de l'univers progresse librement, sans se soucier d'interdits idéologiques. Les individus ne craignent plus autant l'autorité de la tradition et tentent de gérer eux-mêmes leur espace privé, jouissant en même temps d'une grande liberté d'expression. La démocratie, État où la souveraineté populaire s'exerce dans le respect des droits de l'individu, est devenue un modèle chéri ou désiré partout. Les droits universels de l'homme sont à leur tour considérés comme un idéal commun ; l'égalité devant la loi est la règle dans toute démocratie authentique. Se soucier de son bonheur personnel ou du bien-être commun est un choix de vie qui ne choque personne. Ce n'est pas, évidemment, que les objectifs ainsi visés aient partout été atteints ; mais, aujourd'hui encore, on peut critiquer l'ordre existant au nom de l'esprit des
Lumières.
Des promesses non tenues
Cependant, les bienfaits escomptés ne sont pas tous là, les promesses formulées jadis n'ont pas été tenues, au point que, au XXe siècle, on ne s'est plus réclamé volontiers des Lumières et les idées portées par des mots comme "humanisme", "émancipation", "progrès", "raison", "libre volonté", sont tombées en discrédit.
Cette disparité entre le programme et ses effets actuels amène à une double conclusion : d'une part un optimisme excessif dans le progrès ; d'autre part un détournement et une radicalisation des principes mêmes des Lumières.
Dans le sillage des Lumières elles-mêmes sont nés de nouveaux dangers qui viennent menacer le monde contemporain. Autonomie, humanisme, universalité : pour que ces principes recouvrent tout leur sens, il s'agit aujourd'hui de réinventer les Lumières, les soumettre à un examen critique, et les confronter lucidement à leurs conséquences.