Ce cochon de morin
Texte d'origine : http://www.bmlisieux.com/litterature/maupassant/morin.htm
CE COCHON DE MORIN à M. Oudinot
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- Ca, mon ami, dis-je à Labarbe, tu viens encore de prononcer ces quatre mots, "ce cochon de Morin". Pourquoi, diable, n'ai-je jamais entendu parler de Morin sans qu'on le traitât de "cochon" ?
Labarbe, aujourd'hui député, me regarda avec des yeux de chat-huant. - Comment, tu ne sais pas l'histoire de Morin, et tu es de La Rochelle ?
J'avouai que je ne savais pas l'histoire de Morin. Alors Labarbe se frotta les mains et commença son récit.
- Tu as connu Morin, n'est-ce pas, et tu te rappelles son grand magasin de mercerie sur le quai de La Rochelle ?
- Oui, parfaitement.
- Eh bien, sache qu'en 1862 ou 63 Morin alla passer quinze jours à Paris, pour son plaisir, ou ses plaisirs, mais sous prétexte de renouveler ses approvisionnements. Tu sais ce que sont, pour un commerçant de province, quinze jours de Paris. Cela vous met le feu dans le sang. Tous les soirs, des spectacles, des frôlements de femmes, une continuelle excitation d'esprit. On devient fou. On ne voit plus que danseuses en maillot, actrices décolletées, jambes rondes, épaules grasses, tout cela presque à portée de la main, sans qu'on ose ou qu'on puisse y toucher. C'est à peine si on goûte, une fois ou deux, à quelques mets inférieurs. Et l'on s'en va le coeur encore tout secoué, l'âme émoustillée, avec une espèce de démangeaison de baisers qui vous chatouillent les lèvres.
Morin se trouvait dans cet état, quand il prit son billet pour La Rochelle par l'express de 8h40 du soir, et il se promenait plein de regrets et de trouble dans la grande salle commune du chemin de fer d'Orléans, quand il s'arrêta net devant une jeune femme qui embrassait une vieille dame. Elle avait relevé sa voilette, et Morin, ravi,