Clastres 1973 LHomme 13 3 De la Torture dans les soci t s primitives
De la Torture dans les sociétés primitives
In: L'Homme, 1973, tome 13 n°3. pp. 114-120.
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Clastres Pierre. De la Torture dans les sociétés primitives. In: L'Homme, 1973, tome 13 n°3. pp. 114-120. doi : 10.3406/hom.1973.367366 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1973_num_13_3_367366 DE LA
TORTURE
DANS
LES SOCIÉTÉS
PRIMITIVES
par
PIERRE
CLASTRES
i. La loi V écriture
La dureté de la loi, nul n'est censé l'oublier. Dura lex sed lex. Divers moyens furent inventés, selon les époques et les sociétés, afin de maintenir toujours fraîche la mémoire de cette dureté. Le plus simple et le plus récent, chez nous, ce fut la généralisation de l'école, gratuite et obligatoire. Dès lors que l'instruction s'impos ait universelle, nul ne pouvait plus sans mensonge — sans transgression — arguer de son ignorance. Car, dure, la loi est en même temps écriture. L'écriture est pour la loi, la loi habite l'écriture ; et connaître l'une, c'est ne plus pouvoir méconnaître l'autre. Toute loi est donc écrite, toute écriture est indice de loi. Les grands despotes qui jalonnent l'histoire nous l'enseignent, tous les rois, empereurs, pha raons, tous les Soleils qui surent imposer aux peuples leur Loi : partout et toujours, l'écriture réinventée dit d'emblée le pouvoir de la loi, gravée sur la pierre, peinte sur les écorces, dessinée sur les papyrus. Il n'est jusqu'aux quipu des Incas que l'on ne puisse tenir pour une écriture. Loin de se réduire à de simples moyens mnémotechniques de comptabilité, les cordelettes nouées étaient d'avance, néces sairement, une écriture qui affirmait la légitimité de la loi impériale, et la terreur qu'elle devait inspirer.
2. L' écriture le corps
Que la loi trouve à s'inscrire des espaces inattendus, c'est ce que peut nous apprendre telle ou telle œuvre littéraire. L'officier de La Colonie pénitentiaire explique en détail au voyageur le fonctionnement de la machine à