Coloris corpus
« La couleur éloquente », ce beau titre, lui-même très parlant, est celui d’un ouvrage particulièrement subtil de Jacqueline Lichtenstein. Il est consacré à la relation entre rhétorique et peinture à l’âge classique en montrant comment bien des aspects de notre identité ont une traduction colorée. « Coloris corpus », un épais recueil de quarante textes émanant pour la plupart de contributions données au colloque « Corps et couleur » en 2007, déploie la démonstration à l’échelle de l’humanité. Le lecteur sera étonné de constater à quel point la perception, la variété, la symbolique des couleurs pèse dans l’histoire des mentalités. Dès avant la Grèce antique, où l’orange et le noir sont utilisés de façon conventionnelle et exclusive, jusqu’à nos jours où le multicolore est promu comme une valeur en soi. Depuis Newton, les couleurs sont classées suivant de nombreuses échelles chromatiques. Le corps humain fut et reste perçu au travers d’une lecture de ces couleurs. Il serait naïf de penser que cette lecture est immédiate et se borne à l’enregistrement de la couleur comme donnée brute. Elle est au contraire éminemment sociale. Les couleurs du corps donnent des signes et suscitent des jugements de valeur. La couleur de la peau est souvent « un vêtement de prestige » selon l’expression de Jean Baudrillard. L’Europe est particulièrement étudiée. La blancheur fut cultivée à l’extrême, avec une aristocratie évitant le soleil, utilisant force poudres et même des masques. La vogue actuelle du bronzage « californien » s’inscrit à sa manière dans ce lignage en soulignant par contraste les cheveux blonds et les yeux bleus. Mais c’est bien sûr la lecture raciste de la couleur comme légitimation ultime de la domination et de la destruction qui reste la plus épouvantable. Cette lecture existe partout dans le monde : les Peuls et les Touaregs qui se perçoivent « rouges » par rapport aux peuples « noirs » qui les environnent, les