OrgonCe que je viens d’entendre, ô Ciel ! est-il croyable ?TartuffeOui, mon frère, je suis un méchant, un coupable,Un malheureux pécheur, tout plein d’iniquité,Le plus grand scélérat qui jamais ait été ;Chaque instant de ma vie est chargé de souillures ;Elle n’est qu’un amas de crimes et d’ordures ;Et je vois que le Ciel, pour ma punition, Me veut mortifier en cette occasion.De quelque grand forfait qu’on me puisse reprendre,Je n’ai garde d’avoir l’orgueil de m’en défende.Croyez ce qu’on vous dit, armez votre courroux,Et comme un criminel chassez-moi de chez vous :Je ne saurais avoir tant de honte en partage,Que je n’en aie encore mérité davantage.Orgon, à son fils.Ah ! traître, oses-tu bien par cette faussetéVouloir de sa vertu ternir la pureté ?DamisQuoi ? la feinte douceur de cette âme hypocriteVous fera démentir… ?OrgonTais-toi, peste maudite.TartuffeAh ! laissez-le parler : vous l’accusez à tort,Et vous ferez bien mieux de croire à son rapport.Pourquoi sur un tel fait m’être si favorable ? Savez-vous, après tout, de quoi je suis capable ?Vous fiez-vous, mon frère, à mon extérieurEt, pour tout ce qu’on voit, me croyez-vous meilleur ?Non, non : vous vous laissez tromper à l’apparence,Et je ne suis rien moins, hélas ! que ce qu’on pense ;Tout le monde me prend pour un homme de bien ;Mais la vérité pure est que je ne vaux rien.S’adressant à Damis.Oui, mon cher fils, parlez ; traitez-moi de perfide,D’infâme, de perdu, de voleur, d’homicide ;Accablez-moi de noms encore plus détestés : Je n’y contredis point, je les ai mérités ;`Et j’en veux à genoux souffrir l’ignominie,Comme une honte due aux crimes de ma vie.(Le Tartuffe, acte III, scène 6, vers 1073-1106)Le début de la scène 6 de l’acte III nous fait assister, à un incroyable retournement de situation. Alors qu’il semblait définitivement confondu, Tartuffe va en quelques minutes si bien se rétablir qu’Orgon non seulement croira ne pas un mot des accusations qui viennent d’être portées contre lui mais l’admirera