Coquillages
La ferme était isolée et, pour l’atteindre, il dut louvoyer sur un chemin sinueux. Les bâtiments avaient été construits au milieu des alignements. De grands rochers levés aux pointes aigues, assez régulièrement disposés, fermaient complètement l’horizon. Entre eux la lande de bruyère poussait librement, en fouillis. L’ensemble évoquait un cimetière mal entretenu où auraient jadis été ensevelis une multitude de géants anonymes, les roches de granit lisses ne gardant aucune inscription permettant de les identifier. À présent, leur histoire oubliée et leurs noms à jamais perdus, il ne restait d’eux que la menace imprécise de la force colossale qu’il leur avait fallu pour élever ces dalles de pierre anonymes à la gloire de leurs dieux disparus.
Un espace sableux voisinait l’arrière de la maison, une guimbarde d’un autre âge y était parquée. Il stoppa sa voiture à ses côtés et, ouvrant la seule porte qui s’offrait à lui, il se retrouva dans l’étable. Une trentaine de vache y dégustaient paisiblement le foin abondant dont on avait garni leurs râteliers. Une seconde porte s’ouvrait au fond du bâtiment. Il s’en approchât, son matériel : seringues, aiguilles et tubes à la main, sans déranger les animaux. Par delà le bruit rythmé des mâchoires broyant méthodiquement le fourrage, une rumeur de conversation lui parvenait. Il frappa à la porte, ne reçut aucune réponse, tourna la poignée et entra. Au milieu de la cuisine, une table était dressée. Plusieurs hommes y étaient attablés. En guise de petit déjeuner ceux-là engloutissaient méthodiquement une montagne de coquillages blancs disposés sur une longue assiette. Tout à leur affaire, et parlant peu, ils ne l’avaient pas entendu venir.
« Je viens pour les prises de sang, dit Julien depuis le pas de porte ! »
Surpris, les convives restaient le bras en l’air, les uns tenant une énorme tartine de beurre à la main, d’autres s’apprêtant à arroser leur nourriture d’une gorgée de vin blanc.
« Ah, c’est vous, dit l’un