Corpus baudelaire
Ma pauvre muse, hélas! qu'as-tu donc ce matin ?Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teintLa folie et l'horreur, froides et taciturnes.
Le succube verdâtre et le rose lutinT'ont-ils versé la peur et l'amour de leurs urnes ?Le cauchemar, d'un poing despotique et mutin,T'a-t-il noyée au fond d'un fabuleux Minturnes ?
Je voudrais qu'exhalant l'odeur de la santéTon sein de pensers forts fût toujours fréquenté,Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques
Comme les sons nombreux des syllabes antiques,Où règnent tour à tour le père des chansons,Phoebus, et le grand Pan, le seigneur des moissons.
La muse Vénale
Ô muse de mon coeur, amante des palais,Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées,Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,Un tison pour chauffer tes deux pieds violets ?Ranimeras-tu donc tes épaules marbréesAux nocturnes rayons qui percent les volets ?Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,Récolteras-tu l'or des voûtes azurées ?Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,Comme un enfant de choeur, jouer de l'encensoir,Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère,Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appasEt ton rire trempé de pleurs qu'on ne voit pas,Pour faire épanouir la rate du vulgaire.
A une passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait.Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,Une femme passa, d'une main fastueuseSoulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beautéDont le regard m'a fait soudainement renaître,Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !
A une dame créoleAu pays