De ca je me console
"Alors tout a commencé à me faire horreur, tout, les passants, les trottoirs d'école primaire, et les phrases légères de ceux dont j'observais le corps oxygéné et triomphant : ma génération qui restait vaseusement jeune jeune jeune.
Ils disaient « tranquille » « à la cool », ils disaient ciao ciao en votant à gauche, achetaient aux épiciers arabes des poignées de bonbons verts en plastique, ils s'exclamaient « je prends aussi les nounours, monsieur » et leur rire transpirait la certitude très juste qu'ils avaient d'être en train de crever quand même. Ma génération remplissait consciencieusement les papiers des impôts et avalait calmement les codes-barres et des brunches. Puis elle rotait de la tequila le week-end et se réveillait tard.
J'étais entourée de Presque Morts affolés d'être encore vivants et ils s'employaient à amenuiser cette sensation qui les tenaillait.
J'avais moi-même des accès de mort comme des évanouissements à mon état de vie.
Je n'allais quand même pas vieillir avec eux. J'étais en train de vieillir avec eux.
Je revenais d'une fuite immense, en vérité je m'étais soustraite à ce qu'on me présentait comme la vraie vie. J'étais allée chercher la Nuit, j'avais dérivé et traversé la terre. J'allais à tâtons, trouvais des extraits d'étincelles inoubliables, des choses vraiment bien.
Alors il fallait les noter, Ne Pas Oublier.
Les Presque Morts, eux, parlaient fort de leur capacité de mémoire en cultivant l'oubli et le divertissement. Et ils faisaient une farandole obligatoire, ma génération me tendait la main, m'attrapait, leurs mouvements me donnaient la nausée.
Ils tournaient consciencieusement, le visage anxieux, pressés de lâcher le plus vite possible ces mains qu'ils tenaient, quitter le cercle pour un strapontin, une chaise, une banquette, le fauteuil, une place.
Quelques mois auparavant, des enfants sans siècle qui brûlaient de tout brûler avaient encerclé la ville de fumées. De