Toni Negri Dans votre vie intellectuelle le problème du politique semble avoir été toujours présent. D’un côté la participation aux mouvements (prisons, les homosexuels, autonomie italienne, Palestiniens), de l’autre la problématisation constante des institutions se suivent et s’entremêlent dans votre votre oeuvre, depuis le livre sur Hume jusqu’à celui sur Foucault. D’où naît cette approche continue à la question du politique et comment réussit-elle à se maintenir toujours là, au fil de votre oeuvre ? Pourquoi le rapport mouvement-institutions est-il toujours problématique ? Gilles Deleuze Ce qui m’intéressait, c’était les créations collectives plutôt que les représentations. Dans les « institutions », il y a tout un mouvement qui se distingue à la fois des lois et des contrats. Ce que je trouvais chez Hume, c’était une conception très créatrice de l’institution et du droit. Au début , je m’intéressais plus au droit qu’à la politique. Ce qui me plaisait même chez Masoch et Sade , c’était leur conception tout à fait tordue du contrat selon Masoch, de l’institution selon Sade , rapportés à la sexualité. Aujourd’hui encore , le travail de François Ewald pour restaurer une philosophie du droit me semble essentiel. Ce qui m’intéresse , ce n’est pas la loi ni les lois, (l’une est une notion vide, les autres des notions complaisantes), ni même le droit ou les droits, c’est la jurisprudence. C’est la jurisprudence qui est vraiment créatrice de droit : il faudrait qu’elle ne reste pas confiée aux juges. Ce n’est pas le Code civil que les écrivains devraient lire, mais plutôt les recueils de jurisprudence. On songe déjà à établir le droit de la biologie moderne ; mais tout, dans la biologie moderne et les nouvelles situations qu’elle crée, les nouveaux événements qu’elle rend possibles, est affaire de jurisprudence. Ce n’est pas d’un comité des sages , moral et pseudo-compétent, dont on a besoin, mais de groupes d’usagers. C’est là qu’on passe du droit à la politique. Une