Deuxieme sexe
À la fin des années 90, on s’est fréquemment livré à des bilans pour cerner ce qui a le plus marqué le XXe siècle. Souvent, il a été question de totalitarisme. Mais on peut également penser avec la philosophe Élisabeth Badinter que le XXe siècle a marqué une grande avancée dans la libération de la moitié de l’humanité – les femmes –, en tout cas dans les sociétés occidentales[1]. Dans ce contexte, on mentionne volontiers l’étude fondamentale sur « la situation de la femme » Le Deuxième Sexe parue en 1949, bien que les mécanismes exacts de la réception du livre attendent encore d’être élucidés[2]. Très vite après sa parution, il a été traduit en de nombreuses langues : aujourd’hui il y a 33 traductions. Même sans avoir entrepris d’analyses empiriques détaillées sur la réception, il faut supposer que sans Le Deuxième Sexe le débat féministe avec ses conséquences concrètes dans la société ne serait pas là où il se trouve aujourd’hui. La même chose vaut pour la recherche sur les femmes et le genre. J’aimerais parler aujourd’hui de la femme qui a écrit ce livre ; comment elle en a eu l’idée ; quelles en sont les thèses les plus importantes et leurs présupposés philosophiques ; quel en fut l’accueil il y a cinquante ans et comment on en parle aujourd’hui[3].
Une biographie atypique
Qui était Simone de Beauvoir ? Simone de Beauvoir est née en 1908 à Paris dans une bourgeoisie aisée ou même de petite noblesse – de Beauvoir –, un milieu qui obéit à des codes précis et des rites sociaux destinés à réaliser la distinction, comme aurait dit Bourdieu. Dans cette couche sociale, les femmes ne travaillaient pas, ou plutôt : elles n’étaient pas salariées. Ainsi, le destin de Beauvoir aurait été réglé d’avance, si une crise économique n’avait pas changé la condition financière de la famille. Appauvrie, celle-ci ne fut pas en mesure de donner une dot aux deux filles. Contrairement aux normes de sa classe,