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Le héros du roman, Bardamu, a trouvé un emploi en Afrique. Dans cette scène, il rend visite à l'un de ses collègues. Ce passage met en scène la confrontation entre Africains et colons européens.
Nous trinquâmes à sa santé sur le comptoir au milieu des clients noirs qui en bavaient d'envie. Les clients c'étaient des indigènes assez délurés pour oser s'approcher de nous les Blancs, une sélection en somme. Les autres de nègres, moins dessalés1, préféraient demeurer à distance. L'instinct. Mais les plus dégourdis, les plus contaminés, devenaient des commis de magasin. En boutique, on les reconnaissait les commis nègres à ce qu'ils engueulaient passionnément les autres Noirs. Le collègue au «corocoro2» achetait du caoutchouc de traite, brut, qu'on lui apportait de la brousse, en sacs, en boules humides.
Comme nous étions là, jamais las de l'entendre, une famille de récolteurs, timide, vient se figer sur le seuil de sa porte. Le père en avant des autres, ridé, ceinturé d'un petit pagne orange, son long coupe-coupe à bout de bras.
Il n'osait pas entrer le sauvage. Un des commis indigènes l'invitait pourtant: «Viens bougnoule ! Viens voir ici ! Nous y a pas bouffer sauvages !» Ce langage finit par les décider. Ils pénétrèrent dans la cagna3 cuisante au fond de laquelle tempêtait notre homme au «corocoro ».
Ce Noir n'avait encore, semblait-il, jamais vu de boutique, ni de Blancs peut-être. Une de ses femmes le suivait, yeux baissés, portant sur le sommet de la tête, en équilibre, le gros panier rempli de caoutchouc brut.
D'autorité les commis recruteurs s'en saisirent de son panier pour peser le contenu sur la balance. Le sauvage ne comprenait pas plus le truc de la balance que le reste. La femme n'osait toujours pas relever la tête. Les autres nègres de la famille les attendaient dehors, avec les yeux bien écarquillés. On les fit entrer aussi, enfants compris et tous, pour qu'ils ne perdent