Molière, Dom Juan, I, 1 : l’éloge du tabac

Texte étudié

SGANARELLE, tenant une tabatière : Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n’est rien d’égal au tabac : c’est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l’on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu’on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d’en donner à droit et à gauche, partout où l’on se trouve ? On n’attend pas même qu’on en demande, et l’on court au-devant du souhait des gens: tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d’honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Mais c’est assez de cette matière. Reprenons un peu notre discours. Si bien donc, cher Gusman, que Done Elvire, ta maîtresse, surprise de notre départ, s’est mise en campagne après nous, et son cœur, que mon maître a su toucher trop fortement, n’a pu vivre, dis-tu, sans le venir chercher ici. Veux-tu qu’entre nous je te dise ma pensée ? J’ai peur qu’elle ne soit mal payée de son amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là.

Introduction
En 1665, Molière fait représenter Dom Juan ou le Festin de Pierre. Son Tartuffe a été interdit en 1664 suite à la cabale des dévots et il a des difficultés financières. Le sujet de Dom Juan est connu de ses contemporains, car la pièce de Tirso de Molina a déjà été adaptée en France, et a été appréciée. Molière semble viser un succès facile et rapide qui lui permette de remplir son théâtre et ses caisses. Les attentes du spectateur sont cependant assez vite mises à mal : dès les premières paroles prononcées sur scène, il est invité à se questionner sur le sens de ce qu’il vient d’entendre, et qui apparemment est hors sujet : Sganarelle, dans une assez longue tirade adressée à Gusman, le