hannah arendt
« On a souvent fait observer que la terreur ne peut régner absolument que sur des hommes qui sont isolés les uns des autres et qu’en conséquence, un des premiers soucis de tous les régimes tyranniques est de provoquer cet isolement. L’isolement peut être le début de la terreur ; il est certainement son terrain le plus fertile ; il est toujours son résultat. L’isolement est, pour ainsi dire, prétotalitaire ; il est marqué au coin de l’impuissance dans la mesure où le pouvoir provient toujours d’hommes qui agissent ensemble, « qui agissent de concert » ; les hommes isolés n’ont par définition aucun pouvoir (…)
Ce que nous nommons isolement dans la sphère politique, se nomme désolation dans la sphère des relations humaines. Isolement et désolation font deux. Je peux être isolée – c’est-à-dire dans une situation où je ne peux agir parce qu’il n’est personne avec moi- sans être « désolée » : et je peux être désolée, c’est-à-dire dans une situation où, en tant que personne je me sens à l’écart de toute société humaine- sans être isolée (…)
Dans l’isolement, l’homme reste en contact avec le monde en tant qu’œuvre humaine ; ce n’est que lorsque la forme la plus élémentaire de créativité humaine –c’est-à-dire le pouvoir d’ajouter quelque chose de soi au monde commun- est détruite, que l’isolement devient absolument insupportable. C’est ce qui peut se produire dans un monde où les valeurs majeures sont dictées par le travail, autrement dit où toutes les activités humaines ont été transformées en travail. Dans de telles conditions, seul demeure le pur effort du travail, autrement dit l’effort pour se maintenir en vie, et le rapport au monde comme création humaine est brisé (…) Alors l’isolement devient désolation (…)
Tandis que l’isolement intéresse uniquement le domaine politique de la vie, la désolation intéresse la vie humaine dans son tout. Le régime totalitaire comme toutes les tyrannies ne