Hannah arendt, essai sur la révolution
Ce texte est remarquable sous plus d’un aspect. A vrai dire, sa simplicité déçoit un peu venant d’une « lumière », en fait c’est l’opposition mécanique de la raison et de la passion qui ne nous éclaire pas beaucoup sur le grand sujet des facultés humaines, bien qu’elle ait le grand mérite pratique de ne pas accorder une part trop importante à la volonté –la plus délicate et la plus dangereuse des conceptions modernes. Mais cela ne nous intéresse pas ; pour notre propos il est important que ces phrases fassent allusion au moins à l’incompatibilité décisive qui existe entre le règne d’une « opinion publique » unanimement proclamée et la liberté d’opinion, car la vérité est qu’aucune formation d’opinion n’est possible là où toutes les opinions sont devenues une seule et même opinion. Etant donné que nul n’est capable de former sa propre opinion sans avoir bénéficié d’une multitude d’opinions tenues par autrui, le règne de l’opinion publique met en péril même l’opinion des …afficher plus de contenu…
Ce n’est pas surprenant. Que toute autorité repose, en dernière analyse, sur l’opinion n’est jamais démontré avec plus de force que quand, soudain, sans qu’on s’y attende, un refus d’obéissance universel commence ce qui finit alors en révolution. A coup sûr, ce moment –peut-être le plus dramatique de l’Histoire- ouvre grand la porte aux démagogues de tous calibres et couleurs, mais que prouve d’autre la démagogie même révolutionnaire que la nécessité, pour tous les régimes, anciens ou nouveaux, « de s’appuyer sur l’opinion » ? A la différence de la Raison, la puissance de l’homme n’est pas seulement « timide et circonspecte quand on la laisse seule », elle est simplement inexistante si elle ne peut reposer sur autrui ; le roi le plus puissant et le moins scrupuleux des tyrans sont