Que Kant critique le surnaturel ne présente rien de surprenant : l'esprit des Lumières n'est-il pas par excellence celui qui réduit le surnaturel (Übernatürlich) à la superstition (Aberglaube) ? En 1790, la Critique de la faculté de juger célébrait l'Aufklärung comme le processus qui consiste à se libérer des superstitions par l'usage autonome de la raison. Or, qu'est-ce que la superstition en général sinon la croyance au surnaturel (Kant, t. 2, pp. 1073-1074) ? Kant la définit comme "la propension à placer une plus grande confiance dans ce qu'on pense arriver d'une façon non naturelle qu'en ce qui se laisse expliquer selon les lois de la nature, que ce soit physiquement ou moralement". La superstition désigne plus particulièrement la croyance aux manifestations externes du surnaturel par opposition à l'exaltation (Schwärmerei), qui est la croyance en ses manifestations internes. Kant distingue ainsi quatre types de rapport au surnaturel : l'exaltation (croyance aux effets de la grâce), la superstition (croyance aux miracles), l'illuminisme (croyance en la connaissance du mystère par des voies initiatiques) et la thaumaturgie (croyance en la maîtrise des moyens de la grâce par des voies occultes : t. 3, pp. 70 et 874). Sous toutes ses formes, l'hypothèse du surnaturel invalide la rationalité en infirmant ses principes avérés : elle contredit la raison théorique (la connaissance scientifique) et la raison pratique (l'exigence morale). Aussi constitue-t-elle la forme suprême du préjugé, le plus radical obstacle à l'avènement d'une pensée autonome. Après avoir condamné la magie dans les Rêves d'un visionnaire expliqués par des Rêves métaphysiques (1766), Kant questionne le surnaturel chrétien dans La religion dans les limites de la simple raison (1793) et dans Le conflit des facultés (1798), oeuvres majeures de sa philosophie de la religion. S'il ne conteste pas absolument la possibilité du surnaturel, son originalité est de la critiquer d'après l'idée d'une religion