La guerre représente bien le paroxysme de l'existence des sociétés modernes. Elle constitue le phénomène total qui les soulève et les transforme entièrement, tranchant par un terrible contraste sur l'écoulement calme du temps de paix. C'est la phase de l'extrême tension de la vie collective, celle du grand rassemblement des multitudes et de leur effort. Chaque individu est ravi à sa profession, à son foyer, à ses habitudes, à son loisir enfin. La guerre détruit brutalement le cercle de liberté que chacun ménage autour de soi pour son plaisir et qu'il respecte chez son voisin. Elle interrompt le bonheur et les querelles des amants, l'intrigue de l'ambitieux et l'œuvre poursuivie dans le silence par l'artiste, l'érudit ou l'inventeur. Elle ruine indistinctement l'inquiétude et la placidité, rien ne subsiste qui soit privé, ni création ni jouissance ni angoisse même. Nul ne peut rester à l'écart et s'occuper à une autre tâche, car il n'est personne qui ne puisse être employé à celle-ci de quelque façon. Elle a besoin de toutes les énergies. Ainsi succède à cette sorte de cloisonnement où chacun compose son existence à sa guise, sans participer beaucoup aux affaires de la cité, un temps où la société convie tous ses membres à un sursaut collectif qui les place soudain côte à côte, les rassemble, les dresse les aligne, les rapproche de corps et d'âme. L'heure est venue où elle cesse brusquement d'être tolérante, indulgente et comme soucieuse de se faire oublier par ceux dont elle protège la prospérité. Elle s'empare maintenant des biens, exige le temps, la fatigue, le sang même des citoyens. L'uniforme endossé par chacun d'eux marque visiblement qu'il abandonne tout ce qui le distinguait d'autrui, pour servir la communauté et non comme il l'entend, mais selon ce que cet uniforme lui commande de faire et au poste qu'il lui désigne. La similitude de la guerre avec la fête est donc ici absolue : toutes deux inaugurent une période de forte socialisation, de mise en