La nuit de valogne
Don Juan se retourne vers Madame Cassin et la Duchesse qui sourit légèrement.
La Duchesse: Marion, éteins les bougies.
Marion : Madame, il fait encore si sombre.
La Duchesse : Chut, éteins les bougies, voici l’aube.
Marion va progressivement éteindre les bougies. La salle sera presque dans le noir pendant quelques instants puis le jour, arrivant de grandes baies, envahira progressivement la scène.
La Duchesse (songeuse et musicale) : On dit que les nouveau-nés sont quasiment aveugles pendant leurs premières semaines sur cette terre, qu’ils ne distinguent ni formes ni couleurs, jusqu’au jour où le sourire d’un sourire d’une mère, les deux mains d’un père, écartant la gaze floue et confuse qui recouvre le berceau, leur apparaissent. Et puis, plus tard, à l’âge adulte, il y a - parfois- de nouveau, un homme ou une femme qui soulève le rideau, donnant forme et couleur au monde. Le Chevalier l’a fait. Où irez-vous ?
Don Juan : Je ne sais pas. Au-delà de moi.
La Duchesse : C’est tout près.
Madame Cassin : C’est très loin. Bonne chance, Don Juan.
Le jour n’est pas encore tout à fait levé. Marion a ouvert les rideaux qui donnent sur la lumière naissante. Don Juan met sa cape et s’apprête à partir. Il semble hésiter un instant.
Don Juan : Dites-moi, Duchesse, comment cela s’appelle-t-il lorsque, dans les larmes, les convulsions, dans les hurlements, la douleur et le sang, on s’apprête à sortir, plonger dans l’inconnu, aller à la rencontre des autres ?
La Duchesse : La naissance.
Don Juan : Et comment cela s’appelle-t-il lorsque, au même moment, on a peur d’être broyé par la lumière, trahi par toutes les mains, ballotté par les souffles du monde, et que l’on tremble à l’idée juste d’être une simple et haletante poussière, perdue dans l’univers ?
La Duchesse : Le courage. ( Un temps. ) Bon courage, Don Juan.
Madame Cassin, Marion et la Duchesse s’approchent des hautes fenêtres devant lesquelles elles ne sont plus que des ombres