La question de la poétique chez heidegger
Extraits de Essais et conférences
Trad. André Préau, Paris, Gallimard, 1958, pp. 9 à 48.
La représentation courante de la technique, suivant laquelle elle est un moyen et une activité humaine, est la conception instrumentale et anthropologique de la technique... Il demeure exact que la technique moderne soit, elle aussi, un moyen pour des fins... On veut, comme on dit, "prendre en main" la technique et l’orienter vers des fins "spirituelles". On veut s’en rendre maître. Cette volonté d’être le maître devient d’autant plus insistante que la technique menace davantage d’échapper au contrôle de l’homme.
La conception instrumentale de la technique, bien qu’exacte, ne nous révèle pas encore son essence. Il nous faut chercher le vrai à travers l’exact.
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En quoi l’essence de la technique a-t-elle affaire avec le dévoilement? Réponse: en tout. Car tout "produire" se fonde dans le dévoilement. Dans son domaine rentrent les fins et les moyens, et aussi l’instrumentalité. Ainsi la technique n’est pas seulement un moyen: elle est un mode de dévoilement, c’est-à-dire de la vérité.
Le mot "technique" vient du grec et désigne ce qui appartient à la technè. Or ce mot ne désigne pas seulement le faire de l’artisan et son art, mais aussi l’art au sens élevé. La technè est quelque chose de "poiétique".
Un autre point à considérer est que jusqu’à Platon, le mot technè est toujours associé au mot epistemè. Tous deux sont des noms de la connaissance au sens le plus large. Ils désignent le fait de pouvoir se retrouver en quelque chose, de s’y connaître.
La technique est un mode du dévoilement. Elle déploie son être dans la région où le dévoilement et la non-occultation (la vérité) a lieu. On pourrait objecter que cette détermination de la technique est valable pour la pensée grecque mais non pour la technique moderne, qui est motorisée. Or, c’est précisément elle (la technique moderne) et elle seule l’élément inquiétant