Le Bourgeois
Alain de Benoist
Brocardé, dénoncé, tourné en dérision pendant des siècles, le bourgeois semble aujourd'hui n'être plus mis en question. Rares sont ceux qui le défendent, rares aussi ceux qui s'en prennent directement à lui1. A droite comme à gauche, on semble considérer désormais qu'il y a quelque chose de désuet ou de convenu à s'interroger de façon critique sur la bourgeoisie. « Il n'y a plus de modèle du bourgeois vilipendé, alors que le seul mot “bourgeois” était encore nettement péjoratif il y a dix ans à peine, constate la sociologue Béatrix
Le Wita. Maintenant, c'est quelque chose de rassurant »2. Pourtant, loin d'être une classe en voie de disparition, ainsi que l'avance imprudemment Adeline
Daumard3, la bourgeoisie semble plutôt correspondre de nos jours à une mentalité qui a tout envahi. Si elle a perdu sa visibilité, c'est tout simplement qu'on ne peut plus guère la localiser. « Le bourgeois a littéralement disparu, a-ton pu dire récemment, il n'existe plus, il est l'Homme en personne, et le terme n'est plus employé que par quelques dinosaures que le ridicule finira par tuer »4. Le mot, ainsi, n'aurait plus de contenu que parce qu'il en a trop. Et cependant, remarque Jacques Ellul : « Poser cette innocente question : qui est le bourgeois ? provoque de si grands excès chez les plus raisonnables que je ne puis la croire inerte et sans danger »5. Tentons donc de la poser à nouveaux frais. Et d'abord en décrivant à grands traits l'histoire de la formation et de la montée de la classe bourgeoise.
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En France, l'essor de la bourgeoisie doit tout à la dynastie capétienne, qui fait alliance avec elle pour liquider l'ordre féodal. Les grandes invasions s'achèvent au XIe siècle. Au cours des deux siècles suivants s'affirme le mouvement communal : les communes, qui sont des associations de « bourgeois » des villes6, perçoivent le système féodal comme une menace contre leurs intérêts matériels. Un peu partout, les bourgeois, qui ne sont ni nobles ni