LE CIEL N’ETAIT PAS TOUT A FAIT NOIR

La ride de Lara Croft La couleur bleu ciel La démence, Clémence Etre neuve La Marie Brizard Narcisse Harry Roselmack et moi Le mouton

LA RIDE DE LARA CROFT

Un matin, elle remarque qu’il ne se met du gel que sur le côté droit du crâne. A la pause, elle lui demande pourquoi. Abdelhakim claque de la langue : C’est cher, le gel, madame. C’est ainsi qu’elle se retrouve dans le rayon cosmétiques du Monoprix de l’avenue Gambetta. Le gel pour les cheveux, pense-t-elle, ça donne souvent l’allure d’un petit moineau trempé. Mais au fond elle aime bien les moineaux, et si elle mettait la main sur un petit moineau trempé elle aimerait bien le sauver. A côté d’elle se tient un homme, un bel homme, elle le sent à ses gestes, elle tourne la tête pour vérifier et en effet, c’est encore un très bel homme. Il tourne aussi la tête vers elle, parce qu’elle est précisément devant le gel X-Men qu’il veut. A ce moment, elle voudrait bien lui dire que le gel pour homme lui importe peu, que d’ailleurs elle n’a pas d’homme et que sa présence dans ce rayon résulte d’un heureux hasard. Il prend le gel et s’éloigne. Mais ce n’est pas son genre de draguer dans les magasins au rayon gel pour hommes, de toutes façons, elle n’a plus l’âge. Elle est vieille. Elle prend le tube de gel X-Men, il lui semble étonnamment lourd, elle regarde la composition, fronce les sourcils, de toutes façons il est jeune, lui, et la mort chimique semble être une mort d’avenir. Ce qu’elle ne sait pas à ce moment-là c’est que le lendemain, un élève de la classe d’Abdelhakim passerait devant elle en disant : Eh, madame, ça se fait pas, ça, vous nous prenez pour qui ou quoi, c’est abusé. Elle se consolera en repensant aux grands yeux avides d’Abdelhakim, qui a essayé de cacher le tube de gel pour que les autres ne le voient pas. De toutes façons, pour elle, les élèves sont secondaires. Ce qu’elle veut dans la vie, c’est écrire un livre.