Le conte
Au cours d’une bataille contre les Turcs, Médard de Terralba, chevalier, est coupé en deux par un boulet de canon. Ses deux moitiés continuent de vivre séparément, l’une faisant le bien, l’autre mutilant tout sur son passage. Dans cet extrait, le chevalier éprouve soudain « la lubie des incendies » et s’attaque au village de Préchampignon où vivent des lépreux.
Sans la moindre raison plausible, une nuit il poussa jusqu’aux maisons de Préchampignon et lança sur leurs toits de paille de la poix enflammée. Les lépreux ont la vertu de ne pas souffrir quand ils rissolent. Surpris par les flammes dans leur sommeil, ils ne se fussent certes pas réveillés. Mais tandis qu’il prenait la fuite au galop, le vicomte entendit s’élever du village une cavatine au violon ; les habitants de Préchampignon veillaient, absorbés par leurs jeux. Ils roussirent tous un peu, mais sans souffrir. Ils s’en amusèrent même, comme c’est dans leur tempérament. Ils eurent tôt fait d’éteindre l’incendie ; et leurs maisons, peut-être bien parce que lépreuses comme eux, ne subirent que peu de dommages. La méchanceté de Médard se tourna contre son propre bien : le château. Le feu prit à l’aile où dormaient les domestiques et flamba, tandis que les gens, emprisonnés à l’intérieur, poussaient des hurlements. L’attentat était dirigé contre la nourrice qui lui avait servi de mère : Sébastienne. Avec cette autorité que les femmes s’obstinent à vouloir garder sur ceux qu’elles ont connus enfants, Sébastienne ne manquait jamais de reprocher au vicomte ses méfaits […]. On retira des murs carbonisés une Sébastienne en fort piteux état : il lui fallut garder longtemps le lit pour guérir ses brûlures. Un soir, la porte de la chambre où elle gisait s’ouvrit et le vicomte fit son apparition près