Le grand jeu de fancis bacon
Dès le deuxième des entretiens dans lesquels, dialoguant avec son ami David Sylvester, il s'explique cartes sur table sur sa vie et sur son art —tels qu'il les voyait entre 1962 et 1975, précision nécessaire, cet art pas plus que cette vie n'ayant encore bouclé sa boucle et l'intéressé n'étant pas de ces gens qui s'endorment sur une vérité qu'ils croient détenir une fois pour toutes —, Francis Bacon donne, il me semble, le mot-clé qui permet de situer, autant que faire se peut dans le cas d'un artiste dont chaque exposition montre combien il est capable de renouvellement, ce peintre reconnu comme l'un des plus grands de notre époque, mais difficile à caractériser dans la mesure où il s'écarte de tous les sentiers battus.
Le jeu par questions et réponses auquel s'adonnent censément les deux partenaires venant à mettre en cause, comme à son début même, le problème crucial de l'art figuratif —dont Bacon se réclame expressément — et de l'art non figuratif, l'interrogé, qui tout au long des entretiens marque à plusieurs reprises sa défiance envers ce qu'il nomme l'illustration (c'est-à-dire la transcription trop littérale), déclare en propres termes : Voyez-vous, je pense que l'art rend compte, je pense que c'est un reportage. Et je pense que dans l'art abstrait, puisqu'il n'y a pas de reportage, il n'y a rien d'autre que l'esthétique du peintre et ses quelques sensations. Il n'y a là jamais aucune tension. « Tension » : il semble que cette notion, jetée sur le tapis par l'interviewé lui-même, puisse servir de fil conducteur à quiconque veut déceler sur quoi repose l'extraordinaire pouvoir d'envoûtement dont sont douées les oeuvres et la personne de Bacon.
Tension, d'abord, entre ces deux pôles : d'une part, la volonté de figurer et donc de n'être pas abstrait ; d'autre part, celle de ne pas « illustrer » et donc de fabriquer une image qui s'éloignera de la représentation tenue pour normale par le sens commun et de ce