Le Malentendu, créé en 1944, est une pièce de langage mais d’un langage qui échoue. Alors que Camus souhaite renouveler la tragédie antique, quelle évolution dramaturgique propose la pièce ? En étudiant les critères de fonctionnement du récit, nous dégagerons les points suivants : d’une part, les récits ont une fonction morbide et mortifère, en condamnant les personnages signes d’une évolution théâtrale, les récits sont d’autre part fermés, adressés à la personne même qui produit ce récit : tout l’intérêt de la pièce réside d’ailleurs dans cette absence de communication et de destinataire, dans cette parole qui ne s’échange pas. Enfin le récit de la mort de Jan ne répond pas tout à fait aux critères esthétiques traditionnels : il s’agit moins de respecter les convenances que de montrer réellement sur scène ce qui tue, c’est-à-dire le langage lui-même. Entre tradition et modernité, le récit dans le Malentendu se révèle être une machine à tuer. Créé en 1944, le Malentendu propose une voie d’accès possible à la tragédie moderne et renouvelée : le héros Jan retourne dans son pays natal, après des années d’absence. Accueilli dans une auberge que tiennent sa mère et sa sœur, il leur cache son identité. Les deux femmes le volent et le tuent avant de mourir à leur tour, une fois la vérité découverte. Dans la préface à l’édition américaine de son théâtre, Camus relève la gêne du public devant cette pièce désespérée : « Le langage aussi a choqué. Je le savais. Mais si j’avais habillé de peplums mes personnages, tout le monde peut-être aurait applaudi. Faire parler le langage de la tragédie à des personnages contemporains, c’était au contraire mon propos. Rien de plus difficile à vrai dire puisqu’il faut trouver un langage aussi naturel pour être parlé par des contemporains, et assez insolite pour rejoindre le ton tragique. » A la recherche d’un langage renouvelé, Camus introduit dans le Malentendu une forme d’éloignement, un « sentiment de dépaysement » afin de mettre en