Le misanthrope
Le Misanthrope est créé en 1666, alors que Molière est occupé à rédiger une nouvelle version du Tartuffe en vue d'obtenir l'autorisation de sa représentation en public. Une rapide comparaison avec Tartuffe fait apparaître qu'Alceste, épris de sincérité, est l'exact contraire de Tartuffe l'imposteur, et qu'Arsinoé, la fausse prude, lui, au contraire, pendant.
Le succès de la pièce est modeste (vingt-quatre représentations) ; mais la période n'est pas favorable : la cour, en grand deuil, s'est retirée à Fontainebleau. Cependant, elle remporte un vif succès chez les doctes, de Donneau de Visé à Boileau.
Alceste est un des nombreux personnages originaux créés par Molière. Il est d'autant plus original qu'il est probablement inspiré de Molière lui-même : « C'est un trait permanent dans l'œuvre de Molière : il écrit pour lui-même presque exclusivement des rôles dans lesquels il est ridiculisé, bafoué, insulté, dupé, cocufié, souffleté, bastonné. Même Scapin finit par recevoir, au moins fictivement, une poutre sur la tête. Quelque chose chez Molière le pousse vers l'autodérision. [...] Le discours contre soi-même, le discours ventriloque, le fait de prêter sa voix à ses "ennemis", est un art qu'il pratique à merveille. » (François Rey, dans J. Lacouture, F. Rey, Molière et le roi, 2007) Alceste doit sans doute beaucoup à Molière, mais aussi à sa situation : Molière se présente lui-même (sans doute avec quelque exagération) comme un homme persécuté dans l'affaire Tartuffe.
Donneau de Visé, dans une lettre qu'il écrit et qui est jointe au texte du Misanthrope dans son édition de 1667, voit dans cette comédie le « portrait du siècle » :
Le Misanthrope, seul, n'aurait pu parler contre tous les hommes ; mais en trouvant le moyen de le faire aider d'une médisante, c'est avoir trouvé, en même temps, celui de mettre, dans une seule pièce, la dernière main au portrait du siècle. Il y est tout entier, puisque nous voyons encore