Le sentiment de la liberté est-il fiable ?
Un sentiment = une émotion subjective. Par exemple, l'amour, la haine, la joie, la tristesse... Etant subjectif, on ne connaît pas les causes, les raisons d'être de nos sentiments. On ne sait pas pourquoi on éprouve tel sentiment pour telle personne à tel moment. Le sentiment semble donc arbitraire. Ce n'est pas parce que telle personne est aimable qu'on l'aime, c'est parce qu'on l'aime qu'on la trouve aimable. Et lorsque le sentiment a disparu, on se demande comment on a fait pour aimer telle personne car, "objectivement", est n'était pas aimable. Pour Schopenhauer, par exemple, l'amour est un ruse inconsciente de la reproduction du vouloir vivre de l'espèce. Cf. Cioran: "Tous les sentiments puisent leur absolu dans la misère des glandes." Le sentiment n'est que l'effet vécu de causes biologiques inconscientes. D'où cette conséquence: le sentiment n'est pas libre et ne peut pas fournir ses justifications. Pascal: "Le cœur a son ordre; l'esprit a le sien qui est par principe et démonstration. Le cœur en a un autre. On ne prouve pas qu'on doit être aimé en exposant l'ordre des causes de l'amour; cela serait ridicule."
Mais alors comment le sentiment (non volontaire, non libre) de la liberté serait-il fiable? On se sent libre dans nos choix, nos goûts... mais les sciences humaines nous montrent que nous sommes conditionnés par des structures sociales, familiales... inconscientes. Par exemple, nous sommes persuadés que nous avons nos propres goûts musicaux. Or Bourdieu, dans ses études portant sur les influences sociales dans le domaine des préférences esthétiques, montrent que les goûts musicaux sont déterminés par l'appartenance à une classe sociale. L'amour du rock, de l'accordéon, de la musique classique... est d'abord un marqueur social. Il en va de même pour l'attirance pour une mode. Comment se fait-il que l'on découvre en soi une voix intérieure qui nous répète: "si tu n'as pas tel signe sur ton corps, tu n'existes