Le silence
Il est à l’origine et la finalité de toute parole. Si bien que la meilleure philosophie s’efforce de garder le silence, plutôt que de le remplir de vérités criantes.
Le silence n'est pas l'absence de bruit, mais l'absence de parole, le retour à l'immédiat, le clairon de la matière. D'ailleurs, lorsqu'on tend l'oreille, on ferme les yeux, comme si, du tonnerre aux pépiements, tous les concerts du silence exigeaient implicitement d'être entendus pour eux-mêmes, séparément des objets qui s'y rattachent. Le silence - autrement dit la nature sans les hommes - déconnecte les effets de leur cause pour en restituer la saveur nue. C'est la raison pour laquelle le silence préfère la nuit. Dès que le jour lève le camp, la dissipation des ombres diurnes bannit l'esprit de synthèse et laisse le champ libre aux arpèges des sons qui ne disent rien. « Quand le silence fait alliance avec la nuit, on découvre que la pureté du silence se décompose paradoxalement en une multitude de craquements légers; ces craquements ne rompent pas le silence, mais le rendent au contraire plus silencieux, de même que les étoiles, loin de blanchir le ciel nocturne, rendent la nuit plus profonde et plus noire. » (Jankélévitch) À tous égards, le silence est inhumain.
Cela dit, le silence n'a aucun besoin du silence pour se faire entendre. Au contraire. Tout ce qui le met en sourdine témoigne de lui. Chaque phrase confesse, à mots couverts, l'empire du silence qui la détermine. « Le mot bavarde, dit Ionesco. Le mot est littéraire. Le mot est une fuite. Le mot empêche le silence de parler. » Le silence est le fin mot du bla-bla, le non-dit de toute spéculation, l'universel sousentendu. Avant de servir à la communication, la parole naît d'un accord tacite entre les hommes résolus à meubler le silence, et donc à le bâillonner. Peine perdue. Plus on conjure le silence et plus il est criant. Mieux: la parole, cache-sexe, érotise le silence en essayant de le recouvrir. Grâce aux mots, le