Le théâtre
Si je suis poète ou acteur, ce n’est pas pour écrire ou déclamer des poésies, mais pour les vivre. Lorsque je récite un poème, ce n’est pas pour être applaudi mais pour sentir des corps d’hommes ou de femmes, je dis des corps trembler et virer à l’unisson du mien, virer comme on vire, de l’obtuse contemplation du bouddha assis, cuisses installées et sexe gratuit, à l’âme, c’est-à-dire à la matérialisation corporelle et réelle d’un être intégral de poésie.
Antonin Artaud en Marat
Non signé, daté « 1930 »
Encre et gouache sur papier
BNF, Arts du spectacle,
4-O-ICO-006 (3)
Lettres de Rodez, 1946*
Plus qu’homme de théâtre, ou homme du théâtre (pour Jacques Derrida), Antonin Artaud serait plutôt un « homme-théâtre », selon l’expression de Jean-Louis Barrault, car, comme le dit Alain Virmaux, il est « tout entier théâtre, dans toute sa vie, dans tout son être, et pas seulement dans ce qu’il a pu dire, écrire ou faire ». Son comportement est en permanence dramatisé, ses écrits mettent en scène une « dramaturgie du moi » dans laquelle le personnage principal (lui-même) « se nourrit de sa propre parole et se construit sous le regard de l’autre, un témoin choisi » (Camille Dumoulié). Si le théâtre occupe une place aussi centrale dans la vie et dans l’œuvre d’Artaud, c’est qu’il a pour fonction à ses yeux d’être la vie elle-même, sans mensonges ni artifices. Ses différentes expérimentations artistiques
(dessin, poésie, théâtre), si elles posent toujours la même question, celle du langage et de l’expression, convergent toutes vers la scène ; car c’est encore le théâtre qui permet le mieux de cristalliser, de matérialiser, de rendre sensibles la parole originelle et la cruauté fondatrice du monde. En rassemblant les diverses formes d’expression sur la scène théâtrale, Artaud espère parvenir enfin « à cette vieille idée, au fond jamais réalisée, de spectacle intégral » et donner aussi la pleine mesure de ses talents divers de dessinateur, décorateur,