Les femmes savantes
Certes votre prudence est rare au dernier point!
N'avez-vous point de honte avec votre mollesse?
660 Et se peut-il qu'un homme ait assez de faiblesse
Pour laisser à sa femme un pouvoir absolu,
Et n'oser attaquer ce qu'elle a résolu?
CHRYSALE
Mon Dieu, vous en parlez, mon frère, bien à l'aise,
Et vous ne savez pas comme le bruit me pèse.
665 J'aime fort le repos, la paix, et la douceur,
Et ma femme est terrible avecque son humeur.
Du nom de philosophe elle fait grand mystère*,
Mais elle n'en est pas pour cela moins colère;
Et sa morale faite à mépriser le bien,
670 Sur l'aigreur de sa bile opère comme rien*.
Pour peu que l'on s'oppose à ce que veut sa tête,
On en a pour huit jours d'effroyable tempête.
Elle me fait trembler dès qu'elle prend son ton.
Je ne sais où me mettre, et c'est un vrai dragon;
675 Et cependant avec toute sa diablerie,
Il faut que je l'appelle, et "mon cœur", et "ma mie".
ARISTE
Allez, c'est se moquer. Votre femme, entre nous,
Est par vos lâchetés souveraine sur vous.
Son pouvoir n'est fondé que sur votre faiblesse.
680 C'est de vous qu'elle prend le titre de maîtresse.
Vous-même à ses hauteurs vous vous abandonnez,
Et vous faites mener en bête par le nez.
Quoi, vous ne pouvez pas, voyant comme on vous nomme,
Vous résoudre une fois à vouloir être un homme?
685 À faire condescendre une femme à vos vœux,
Et prendre assez de cœur pour dire un: "Je le veux"?
Vous laisserez sans honte immoler votre fille
Aux folles visions qui tiennent la famille,
Et de tout votre bien revêtir un nigaud,
690 Pour six mots de latin qu'il leur fait sonner haut?
Un pédant qu'à tous coups votre femme apostrophe
Du nom de bel esprit, et de grand philosophe,
D'homme qu'en vers galants jamais on n'égala,
Et qui n'est, comme on sait, rien moins que tout cela?
Allez, encore un coup, c'est une moquerie,
Et votre lâcheté mérite qu'on en