Les souffrances du jeune werther 1774
Les Souffrances du jeune Werther : Un bâtard de génie sur la scène romanesque de 1774.
Parues en 1774, Les Souffrances du jeune Werther vont bouleverser l’Europe, car ce petit livre, fondé sur une expérience vécue, est l’exact reflet de ce que pense et ressent toute une génération née de vingt à trente ans auparavant. Nourris d’une littérature anglaise qui regorge de sentiments morbides, ces jeunes gens tournent le dos aux sèches philosophies rationalistes qui prétendent tout expliquer par une sorte de logique mathématique, et s’adonnent d’autant plus volontiers aux larmes et à la mélancolie que rien, autour d’eux, ne vient les inciter à quelque action digne d’intérêt. Comme le dira Goethe dans Dichtung und Wahrheit, trente ans plus tard, ils n’avaient alors pas d’autre perspective « que de traîner une vie platement bourgeoise »1. Certes, ce roman n’est pas une création ex nihilo, il a des prédécesseurs auxquels il doit beaucoup et qui, avant lui, avaient déjà transgressé les normes d’écriture et de pensée du moment. Tout le monde est unanime à reconnaître la dette de Goethe envers La Nouvelle Héloïse de Rousseau qui, plus encore que Young ou Gray, a été le père spirituel de cette génération. Mais le poète allemand ne s’est pas contenté de suivre les voies que lui avait tracées Rousseau treize ans auparavant, il est allé plus loin et dans des directions différentes et, en puisant en lui-même la substance de son roman, il a répondu exactement aux attentes de sa génération. C’est sans doute ce qui explique que le succès de Werther ait éclipsé celui de La Nouvelle Héloïse. Il serait d’ailleurs impropre de parler ici d’imitation. Il s’agit plutôt d’inspiration, de communion aux idées répandues par Rousseau, même si certains aspects de la forme ou des situations peuvent, à première vue, sembler fort ressemblants. C’est le cas du roman épistolaire, d’une héroïne fiancée, puis mariée et partagée entre la fidélité à son mari et l’amour qu’elle éprouve pour un autre