Mademoiselle de chartres
La Princesse de Clèves
1678◄ Le libraire au lecteur I II ►
[ 1 ] L
A magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat, que dans les [ 2 ]dernieres années du regne de Henri ſecond. Ce Prince eſtoit galand, bien fait, et amoureux ; quoique ſa paſſion pour Diane de Poitiers, Ducheſſe de Valentinois, euſt commencé il y avoit plus de vingt ans, elle n’en eſtoit pas moins violente, et il n’en donnoit pas des témoignages moins éclatans.
Comme il réuſſiſſoit admirablement dans tous les exercices du corps, il en faiſoit une de ſes plus grandes occupations. [ 3 ]C’étoit tous les jours des parties de chaſſe et de paulme, des balets, des courſes de bagues, ou de ſemblables divertiſſemens. Les couleurs et les chiffres de Madame de Valentinois paroiſſoient par tout, et elle paroiſſoit elle-méme avec tous les ajuſtemens que pouvoit avoir Mademoiſelle de la Marck ſa petite-fille, qui eſtoit alors à marier.
La preſence de la Reine autoriſoit la ſienne. Cette Princeſſe eſtoit belle, [ 4 ]quoiqu’elle euſt paſſé la premiere jeuneſſe ; elle aimoit la grandeur, la magnificence, et les plaiſirs. Le Roy l’avoit épousée lorsqu’il eſtoit encore Duc d’Orleans, et qu’il avoit pour aiſné le Dauphin, qui mourut à Tournon ; Prince, que ſa naiſſance et ſes grandes qualitez deſtinoient à remplir dignement la place du Roy François Premier, ſon pere.
L’humeur ambitieuſe de la Reine luy faiſoit [ 5 ]trouver une grande douceur à regner ; il ſembloit qu’elle ſouffriſt ſans peine l’attachement du Roy pour la Ducheſſe de Valentinois, et elle n’en témoignoit aucune jalouſie ; mais elle avoit une ſi profonde diſſimulation, qu’il eſtoit difficile de juger de ſes ſentimens, et la politique l’obligeoit d’approcher cette Ducheſſe de ſa perſonne, afin d’en approcher auſſi le Roy. Ce Prince aimoit le commerce des femmes, même de celles dont il [ 6 ]n’estoit pas amoureux : Il demeuroit tous les jours chez la Reine à l’heure du Cercle, où tout ce