Mon poetre
• Léopold Sédar Senghor, président de la République du Sénégal, pendant environ vingt ans, est sans doute un des plus illustres représentants de cette période, bien qu'il soit parfois contesté par certains pour les attaches profondes à la civilisation dite occidentale qu'il a conservées à travers les péripéties de l'histoire. C'est que normalien, agrégé de grammaire, condisciple de Georges Pompidou, cet homme d'État et poète francophone de valeur universelle reste proche souvent de la formation reçue à Paris. Depuis Chants d'ombre où se place cet envoûtant morceau intitulé Nuit d'Afrique, Hosties noires, Éthiopiques, Nocturnes..., par exemple, et en 1980 La Poésie et l'action ont marqué l'évolution poétique de Senghor. Mais les premières oeuvres autant que les récentes conjuguent toujours les sortilèges de la poésie moderne et ceux de l'âme africaine. C'est le cas ici.
Nuit d'Afrique, ma nuit noire, mystique et claire noire, et brillante, Tu reposes accordée à la terre, tu es la Terre et les collines harmonieuses, Ô beauté classique qui n'est point angle, mais ligne élastique, élégante, élancée ! Ô visage classique ! depuis le front bombé sous la forêt de senteurs et les yeux larges obliques jusqu'à la baie gracieuse du menton et L'élan fougueux des collines jumelles ! Ô courbes de douceur, visage mélodique Ô ma Lionne ma Beauté noire, ma Nuit noire ma Noire ma Nue! Ah ! que de fois as-tu fait battre mon coeur comme le léopard indompté dans sa cage étroite Nuit qui me délivre des raisons des salons des sophismes, des pirouettes des prétextes, des haines calculées des carnages humanisés. Nuit qui fond toutes mes contradictions, toutes contradictions dans l'unité première de ta négritude, Reçois l'enfant toujours enfant, que douze ans d'errances n'ont pas vieilli. Je n'amène d'Europe que cette enfant amie la clarté de ses yeux parmi les brumes bretonnes. Léopold Sédar SENGHOR, Chants