Natahalie Sarraute
« Voici les Guimier. Un couple charmant. Gisèle est assise auprès d'Alain. Son petit nez rose est ravissant. Ses jolis yeux couleur de pervenche brillent. Alain a un bras passé autour de ses épaules. Ses traits fins expriment la droiture, la bonté. Tante Berthe est assise près d'eux. Son visage, qui a dû être beau autrefois, ses yeux jaunis par le temps sont tournés vers Alain. Elle lui sourit. Sa petite main ridée repose sur le bras d'Alain d'un air de confiance tendre.
Mais on éprouve en les voyant comme une gêne, un malaise.
Qu'est-ce qu'ils ont? On a envie de les examiner de plus près, d'étendre la main... Mais attention, un cordon les entoure. Tant pis, il faut voir. Il faut essayer de toucher... Oui, c'est bien cela, il fallait s'en douter. Ce sont des effigies. Ce ne sont pas les vrais Guimier. »
Extrait 2 :
« Mon gendre aime les carottes râpées. Monsieur Alain adore ça. Surtout n'oubliez pas de faire des carottes râpées pour Monsieur Alain. Bien tendres... des carottes nouvelles... Les carottes sont-elles assez tendres pour Monsieur Alain ? Il est si gâté, vous savez, il est si délicat. Finement hachées... le plus finement possible... avec le nouveau petit instrument... Tiens... c'est tentant... Voyez, Mesdames, vous obtenez avec cela les plus exquises carottes râpées... Il faut l'acheter. Alain sera content, il adore ça. Bien assaisonnées... de l'huile d'olive... "la Niçoise" pour lui, il n'aime que celle-là, je ne prends que ça... Les justes proportions, ah, pour ça il s'y connaît... un peu d'oignon, un peu d'ail, et persillées, salées, poivrées... les plus délicieuses carottes râpées... Elle tend le ravier... "Oh, Alain, on les a faites exprès pour vous, vous m'aviez dit que vous adoriez ça..." Un jour il a eu le malheur, dans un moment de laisser-aller, un moment où il se tenait détendu, content, de lui lancer cela négligemment, cette confidence, cette révélation, et telle une graine tombée sur une terre fertile cela a germé et cela