Oedipe et le sphinx
Marcel Proust, Gustave Moreau
Lorsque Marcel Proust, dans ses pages pénétrantes consacrées à Gustave Moreau, dépeint les tableaux du peintre comme des fragments d’un « pays », selon l’expression qui lui est chère, dont ils ne seraient que des « apparitions fragmentaires », c’est bien de l’âme de l’artiste et de sa vie qu’il est question : les toiles de Moreau seraient alors, dans une sorte d’avatar psychologique de la vue albertienne, comme des fenêtres ouvertes sur le lieu secret de la méditation et du sens, une intrusion en pointillé dans ce pays que l’auteur de La Recherche qualifie de « patrie profonde ». Comment, à la lumière de cette conception de son œuvre, ne pas considérer chez Moreau la récurrence de certains sujets comme le lieu privilégié d’exploration dudit pays ? Si l’on sait que l’artiste s’est plu à reprendre certains thèmes tout au long de sa carrière et même à retravailler ses tableaux sur une longue période, il semble que cette relation au long cours soit particulièrement significative dans le cas de la figure d’Œdipe. Depuis l’œuvre phare du Salon de 1864 Œdipe et le Sphinx (ill. 1) jusqu’à l’Œdipe voyageur de 1888 (ill. 3), en passant par Le Sphinx deviné (ill. 2) et quelques études éparses, le corpus œdipien n’est certes pas le plus conséquent de l’œuvre de Moreau : en y regardant de plus près, cette parcimonie ne vient que renforcer la densité du sens et ériger ces toiles en des jalons d’autant plus significatifs qu’ils s’échelonnent sur environ vingt-cinq ans de création. Que l’aventure d’Œdipe dans sa confrontation au Sphinx puisse être considérée