Nous avons affaire à un Épisode particulièrement important qui installe le drame et éclaire son protagoniste d’un jour très cru. À l’ouverture de la pièce, Créon, porte-parole d’Apollon, a clairement posé le problème, dans des termes que reprendra plus tard La Fontaine, dans Les animaux malades de la peste : trouver et évacuer la souillure qui affecte Thèbes. Dans cet épisode, qui consiste en un échange particulièrement violent entre le devin Tirésias et l’enquêteur Œdipe, Sophocle attire d’emblée l’attention sur Œdipe, et sur le destin. Plus précisément, sur celui qui est l’objet ou le jouet du destin, et sur les modes d’énonciation de ce dernier, particulièrement obscurs. Nous nous intéresserons donc en premier lieu au personnage d’Œdipe, placé ici sous le signe d’une démesure qui le condamne. Nous montrerons ensuite en quoi ce passage est tout entier fondé sur la figure du retournement, et du report indéfini de la signification. Enfin, nous tenterons de mettre en lumière les mécanismes de l’énonciation oraculaire, qui sont au cœur de la poétique aussi bien que de la dramaturgie d’Œdipe.

I) Œdipe et la démesure

La tragédie naît dans l’histoire de la Grèce antique en même temps que la démocratie, à un moment où le héros du mythe ou de l’épopée devient incompréhensible et incommensurable à l’habitant de la polis : le héros est désormais un problème, parce qu’il est un être excessif, il est celui qui excède sa part (moira) et qui met en danger la cité par sa démesure.
1) Ubris

La démesure d’Œdipe, l’ubris qui en fait un personnage tragique, est mise en valeur dès les premiers mots de la tirade qui ouvre cet extrait : il est celui qui excelle en tout, qui peut revendiquer la maîtrise dans le triple domaine de la richesse, du pouvoir et du savoir (380). Le problème de la démesure ne réside pas, de façon immédiate, dans la condition supérieure d’Œdipe prise en elle même : le spectateur la connaît, aussi bien que Tirésias présent sur scène, ou que le