POEMES
Passant, tu m’avisas, et me tournant la vue1,
Tu m’éblouis les yeux, tant j’avais l’âme émue
De me voir en sursaut2 de tes yeux rencontré.
Ton regard dans le cœur, dans le sang m’est entré
Comme un éclat de foudre alors qu’il fend la nue :
J’eus de froid et de chaud la fièvre continue,
D’un si poignant regard mortellement outré3.
Et si ta belle main passant ne m’eût fait signe,
Main blanche, qui se vante être fille d’un cygne,
Je fusse mort, Hélène, aux rayons de tes yeux;
Mais ton signe retint l’âme presque ravie,
Ton œil se contenta d’être victorieux,
Ta main se réjouit de me donner la vie.
(Ronsard, Les Amours, Sonnets pour Hélène, I, 9, 1578)Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle. »
Lors4 vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre, et fantôme sans os :
Par les ombres myrteux5 je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.
(Ronsard, Les Amours, Sonnets pour Hélène, II, 43, 1578)Je n’ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépoulpé6,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé,
Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.
Apollon et son fils7, deux grands maîtres ensemble,
Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé,
Adieu, plaisant Soleil, mon œil est étoupé8,
Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble.
Quel ami me voyant en ce point dépouillé
Ne remporte au logis un œil triste et mouillé,
Me consolant au lit et me baisant le face,
En essuyant mes yeux par