Que gagne-t-on à travailler ?
Dans la Genèse, lorsque Dieu chasse Adam du paradis, il le condamne à devoir désormais travailler « à la sueur de son front » : il faut comprendre par là que la véritable malédiction n'est pas le travail en soi, mais le fait que celui-ci devienne pénible et réclame beaucoup d'efforts pour porter peu de fruits. Car enfin, comme tous les êtres vivants, l'homme doit fournir une activité pour satisfaire ses besoins naturels, et en cela il ne se distingue pas des animaux, voire des plantes ; mais seul l'homme a conscience de cette activité même, lui seul la mesure en termes d'efforts et de fatigue — on imagine mal un arbre se lasser d'avoir à déployer son feuillage au soleil, ou une vache traîner des pattes à la seule idée de devoir encore une fois aller brouter.
Si donc, comme tout vivant, l'homme a des besoins vitaux qu'il lui faut combler sous peine de mort, lui seul éprouve cette nécessité comme une malédiction, et peut se prendre à rêver d'un pays de cocagne ou d'une lointaine Arcadie, contrées fabuleuses non parce que le travail en serait absent, mais parce qu'il y serait fécond et agréable : ce qui est pénible, ce n'est pas de travailler, c'est que le travail lui-même soit pénible, qu'il soit une affaire où la perte n'est pas couverte par le gain, sans que nous puissions pour autant nous en dispenser. Et en effet, que gagne-t-on à travailler, si ce n'est la satisfaction éreintante des nécessités du jour, dans le seul but de poursuivre tant bien que mal une existence où il faudra à nouveau travailler demain ?
La situation humaine est particulièrement désespérante, à vrai dire, en ceci que l'homme a d'autant plus de besoins, qu'il a moins de moyens pour les satisfaire. Comme le remarquait Protagoras en effet, l'animal est doté de qualités innées : pinces et crocs lui servent d'outils, poils ou écailles de vêtements, lors même que l'instinct le dispense des ennuis de l'apprentissage ; tout au contraire, l'homme naît nu, sans organes naturels qui