La montagne du dieu vivant Le mont Reydarbarmur était à droite du chemin de terre. Dans la lumière du 21 juin il était très haut et large, dominant le pays de steppes et le grand lac froid, et Jon ne voyait que lui. Pourtant, ce n'était pas la seule montagne. Un peu plus loin, il y avait le massif du Kalfstindar, les grandes vallées creusées jusqu'à la mer, et au nord, la masse sombre des gardiens des glaciers. Mais Reydarbarmur était plus beau que tous les autres, il semblait plus grand, plus pur, à cause de la ligne douce qui allait sans s'interrompre de sa base à son sommet. Il touchait le ciel, et les volutes des nuages passaient sur lui comme une fumée de volcan. Jon marchait vers Reydarbarmur maintenant. Il avait laissé sa bicyclette neuve contre un talus, au bord du chemin, et il marchait à travers le champ de bruyères et de lichen. Il ne savait pas bien pourquoi il marchait vers Reydarbarmur. Il connaissait cette montagne depuis toujours, il la voyait chaque matin depuis son enfance, et pourtant, aujourd'hui, c'était comme si Reydarbarmur lui était apparu pour la première fois. Il la voyait aussi quand il partait à pied pour l'école, le long de la route goudronnée. Il n'y avait pas un endroit de la vallée d'où on ne pût la voir. C'était comme un château sombre qui culminait au-dessus des étendues de mousse et de lichen, au-dessus des pâtures des moutons et des villages, et qui regardait tout le pays. Jon avait posé sa bicyclette contre le talus mouillé. Aujourd'hui, c'était le premier jour qu'il sortait sur sa bicyclette, et d'avoir lutté contre le vent, tout le long de la pente qui conduisait au pied de la montagne, l'avait essoufflé, et ses joues et ses oreilles étaient brûlantes. C'était peut-être la lumière qui lui avait donné envie d'aller jusqu'à Reydarbarmur. Pendant les mois d'hiver, quand les nuages glissent au ras du sol en jetant le grésil, la montagne semblait très loin, inaccessible. Quelquefois elle était entourée d'éclairs, toute bleue dans