Solitude et société
« Connais-toi toi-même », l’inscription signifiait pour Socrate : aie souci de ton âme : ne cherche pas d’abord à plaire au monde, mais soit digne de la justice telle que tu es capable de la penser ! Ne pas être l’esclave de son temps, mais chercher seulement la justice, voilà ce que signifie connais-toi toi-même ! Les Athéniens n’ont pas voulu l’entendre, on sait qu’il a dû boire la cigüe, accusé de corrompre la jeunesse et de ne pas reconnaître les dieux de la cité. Le crime de Socrate, c’est d’avoir voulu sauver l’individu contre la foule des bien-pensants, contre le régime politique dont les athéniens étaient si fiers, mais dans lequel il est impossible d’avoir souci de son âme, c’est à dire d’être libre. Ainsi la philosophie est marquée dès le début par la révolte de l’individu contre les institutions, contre la décadence de la cité et l’appel de Socrate conduit à cette question : faut-il croire que l’homme est naturellement indépendant et libre ou bien qu’il est naturellement attaché à la société, et par là prisonnier de l’opinion, des conventions, des compromis ? La vocation du sage n’est-elle pas de s’arracher à la cité pour vivre solitaire ? Mais vivre en marge la société n’est pas possible pour Socrate, car l’homme est doué de parole, et il est doué de parole parce qu’il possède la raison. C’est le même mot en grec, logos. Chercher ce qui est raisonnable, c’est à dire universel : la question de la justice ne se pose pas pour un homme seul, mais elle exige de chacun qu’il accède au point de vue universel. C’est pourquoi la justice dépend de chacun, mais doit pourtant se réaliser au cœur de la cité. C’est le premier paradoxe, celui de la tradition et de la rénovation, celui du particulier et de l’universel.
L’homme est donc pris dans le paradoxe de la solitude et de la vie sociale : d’un côté, il faut qu’il se libère des contraintes de la vie sociale, de l’autre, qu’il soit source de renouvellement pour