Stupeur et tremblement d'amelie nothonb
Yumimoto était l'une des plus grandes compagnies de l'univers. Monsieur Heneda en dirigeait la section Import-Export, qui achetait et vendait tout ce qui existait à travers la planète entière.
Le catalogue Import-export de Yumimoto était la version titanesque de celui de Prévert : depuis l'emmenthal finlandais jusqu'à la soude singapourienne en passant par la fibre optique canadienne, le pneu français et le jute togolais, rien n'y échappait. L'argent chez Yumimoto dépassait l'entendement humain.
Bientôt je me rendis compte que les jours passaient et je ne servais à rien. Aucune des compétences pour lesquelles on m'avait engagée ne m'avait servi. Je ne comprenais toujours pas quel était mon rôle dans cette entreprise ; cela m'indifférait. J'étais enchantée de ma collègue, mademoiselle Mori qui était ma supérieure directe. Elle était svelte et gracieuse à ravir, malgré la raideur nippone à laquelle elle devait sacrifier. Mais ce qui me pétrifiait, c'était la splendeur de son visage : posé sur sa silhouette immense, il était destiné à dominer le monde.
Monsieur Saito qui était le supérieur de Mademoiselle Mori ne me demandait rien, sauf de lui apporter des tasses de café. Rien n'était plus normal, quand on débutait dans une compagnie nippone, que de commencer par l'ôchakumi - " la fonction de l'honorable thé ". Je pris ce rôle d'autant plus au sérieux que c'était le seul qui m'était dévolu. Cette humble tâche se révéla le premier instrument de ma perte.
Un matin, monsieur Omochi, qui était le supérieur de monsieur Saito reçut une importante délégation d'une firme amie. Je servis chaque tasse avec une humilité appuyée, psalmodiant les plus raffinées des formules d'usage, baissant les yeux et m'inclinant. S'il existait un ordre du mérite de l'ôchakumi, il eût dû m'être discerné.
Plusieurs heures après la délégation s'en alla. La voix tonitruante de l'énorme monsieur Omochi cria en appelant