Text butler
Sermon XI. De l’amour du prochain
Le bonheur ne consiste pas dans l’amour de soi. Le désir du bonheur n’est pas le bonheur, pas plus que le désir des richesses n’est la même chose que le fait de les posséder et d’en jouir. Certains hommes peuvent s’aimer eux-mêmes totalement et sans limite et être, pourtant, extrêmement malheureux. Le seul moyen pour l’amour de soi de les tirer de cette misère, est de faire en sorte qu’ils se débarrassent des causes de leur malheur, en obtenant, pour en jouir, les objets qui sont naturellement faits pour donner à l’homme une satisfaction. Ainsi, le bonheur ou la satisfaction consistent uniquement à jouir des objets qui sont par nature adaptés à nos différents appétits, à nos passions et à nos affections particulières. De sorte que si l’amour de nous-mêmes nous préoccupe totalement au point de ne laisser place à aucun autre principe, il est absolument impossible d’être heureux ni de jouir d’une quelconque satisfaction ; car le bonheur consiste dans la gratification des passions particulières, ce qui suppose qu’on ait de telles passions. Ce n’est donc pas l’amour de nous-mêmes qui fait que telle ou telle chose constitue notre intérêt et notre bien ; il faut au contraire supposer d’abord l’existence d’un intérêt et d’un bien que la nature a constitués comme tels pour nous, avant que l’amour de nous-mêmes nous pousse à l’obtenir et à le préserver. (…). Le désengagement de soi est donc absolument nécessaire au bonheur, et une personne peut être si obnubilée par son propre intérêt, en quelque lieu qu’elle l’ait placé, qu’il lui devient complètement impossible de remarquer de nombreuses gratifications qui sont à sa portée et que d’autres obtiennent grâce à la liberté et l’ouverture de leur esprit. De même que l’amour exacerbé pour son enfant n’est pas en général considéré comme étant à son avantage, de même, toutes les apparences laissent penser que le caractère que l’on nomme égoïste n’est pas le plus