TravailFrançais Impromptu de Versailles
MOLIÈRE, BRÉCOURT, LA GRANGE, ETC.
BRÉCOURT.- "Quoi ?"
MOLIÈRE.- Bon voilà l’autre qui prend le ton de marquis. Vous ai-je pas dit que vous faites un rôle, où l’on doit parler naturellement ?
BRÉCOURT.- Il est vrai.
MOLIÈRE.- Allons donc, "Chevalier.
BRÉCOURT.- "Quoi ?
MOLIÈRE.- "Juge-nous un peu sur une gageure que nous avons faite.
BRÉCOURT.- "Et quelle ?
MOLIÈRE.- "Nous disputons qui est le marquis de La Critique de Molière, il gage que c’est moi, et moi je gage que c’est lui.
BRÉCOURT.- "Et moi je juge que ce n’est, ni l’un ni l’autre, vous êtes fous tous deux, de vouloir vous appliquer ces sortes de choses, et voilà de quoi j’ouïs l’autre jour se plaindre Molière, parlant à des personnes qui le chargeaient de même chose que vous. Il disait que rien ne lui donnait du déplaisir, comme d’être accusé de regarder quelqu’un dans les portraits qu’il fait. Que son dessein est de peindre les mœurs sans vouloir toucher aux personnes ; et que tous les personnages qu’il représente sont des personnages en l’air, et des fantômes proprement qu’il habille à sa fantaisie pour réjouir les spectateurs. Qu’il serait bien fâché d’y avoir jamais marqué qui que ce soit ; et que si quelque chose était capable de le dégoûter de faire des comédies, c’était les ressemblances qu’on y voulait toujours trouver, et dont ses ennemis tâchaient malicieusement d’appuyer la pensée pour lui rendre de mauvais offices auprès de certaines personnes à qui il n’a jamais pensé. Et en effet je trouve qu’il a raison, car pourquoi vouloir je vous prie appliquer tous ses gestes et toutes ses paroles, et chercher à lui faire des affaires, en disant hautement "Il joue un tel", lorsque ce sont des choses qui peuvent convenir à cent personnes ? Comme l’affaire de la comédie est de représenter en général tous les défauts des hommes, et principalement des hommes de notre siècle ; il est impossible à Molière de faire aucun caractère qui ne rencontre quelqu’un dans le monde ; et s’il faut qu’on l’accuse