Francis Gaignard à Thérèse Gaignard 108, route de Châtillon, Bagneux, Seine Du front, 6 janvier 1917

Ma chère femme,

Je sais que tu seras soulagée de recevoir cette lettre. Ne te fais pas de mauvais sang de ce que je vais te dire, j'ai bien cru ma fin arriver. Mais maintenant cela va mieux, j'ai l'espoir de m'en sortir.
Tu sais comme tes bons petits plats me manquent ? Ici la nourriture est infâme. Je n'ai plus aucun appétit à cause de la boue et des rats. Dans les tranchées, où nous vivons, je peux te dire que des rats, il n'en manque pas !
Mieux vaut pas s'endormir, sinon elles viennent te manger les oreilles les sales vermines ! De toute façon, je ne vois pas lequel d'entre nous parvient à s 'endormir avec le froid et le bruit qui sont insupportables.
Si tu voyais nos uniformes, vraiment pas pratique ! Ils ne tiennent pas assez chaud. Et puis on devient tous fous ici ! Avec la peur et l'angoisse qui nous hantent. Les obus nous tombent dessus à tout moment. D'ailleurs, une explosion a projeté un de mes amis, mais heureusement il en ai sorti sans séquelles physiques. Par contre, il est devenu déséquilibré : il s'est mis à hurler et à sangloter quand il a vu de la chair de son camarade sur lui. Il a arraché son uniforme pour s'en débarrasser, tout en gémissant. On l'a escorté tout nu jusqu'à l'hôpital. Lorsque je l'ai su, j'en fus totalement bouleversé.
Je voudrais tellement que cette fichue guerre s'arrête ! Nous, soldats, sommes de la chair à canon ! Pendant ce temps, nos supérieurs se la coulent douce ! Ils ne vont pas se salir les mains eux, je te le dis !
Pourquoi devrait-on arrêter la guerre ? Eh bien tout d'abord, cela nous mène à rien ! Les choses n'ont toujours pas changé : cela fait