Uytuytuyt
Michel Houellebecq
« Le monde est ennuyé de moy, Et moy pareillement de luy. » Charles d'Orléans
JefF Koons venait de se lever de son siège, les bras lancés en avant dans un élan d'enthousiasme. Assis en face de lui sur un canapé de cuir blanc partielle¬ment recouvert de soieries, un peu tassé sur lui- même, Damien Hirst semblait sur le point d'émettre une objection ; son visage était rougeaud, morose. Tous deux étaient vêtus d'un costume noir - celui de Koons, à fines rayures — d'une chemise blanche et d'une cravate noire. Entre les deux hommes, sur la table basse, était posée une corbeille de fruits confits à laquelle ni l'un ni l'autre ne prêtait aucune attention ; Hirst buvait une Budweiser Light.
Derrière eux, une baie vitrée ouvrait sur un pay¬sage d'immeubles élevés qui formaient un enchevê¬trement babylonien de polygones gigantesques, jusqu'aux confins de l'horizon ; la nuit était lumi¬neuse, Fair d'une limpidité absolue. On aurait pu se trouver au Qatar, ou à Dubai ; la décoration de la chambre était en réalité inspirée par une photogra¬phie publicitaire, tirée d'une publication de luxe alle¬mande, de l'hôtel Emirates d'Abu Dhabi.
Le front de Jeff Koons était légèrement luisant ; Jed l'estompa à la brosse, se recula de trois pas. Il y avait décidément un problème avec Koons. Hirst était au fond facile à saisir : on pouvait le faire brutal, cynique, genre « je chie sur vous du haut de mon fric » ; on pouvait aussi le faire artiste révolté (mais quand même riche) poursuivant un travail angoissé sur la mort ; il y avait enfin dans son visage quelque chose de sanguin et de lourd, typiquement anglais, qui le rapprochait d'un fan de base d'Arsenal. En somme il y avait différents aspects, mais que l'on pouvait combiner dans le portrait cohérent, représen¬table, d'un artiste britannique typique de sa généra¬tion. Alors que Koons semblait porter en lui quelque chose de double, comme une contradiction insur¬montable entre la