L'art et la nature
Mais reprenons depuis le début. "A quoi vise l'art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l'esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ?" Comme souvent dans les textes de philo, c'est l'un des termes dont on s'aperçoit le moins qui est l'un des plus importants : "explicitement". Si l'art pouvait nous montrer des choses que nous ne percevons pas du tout, cela signifierait que, soit l'artiste a des dons de "voyance" (il voit, par exemple, l'avenir), soit l'oeuvre d'art est en fait un dispositif technique du type microscope, ou longue vue, etc., ce qui n'a pas de sens. L'art doit donc nous montrer des choses que nous ne percevons pas "explicitement", c'est-à-dire que nous voyons sans les voir, que nous percevons sans nous en apercevoir. Cette fois, la thèse a un sens, et elle est très intéressante, puisque ce n'est plus la vision qui est en jeu, mais la manière de voir ; l'artiste ne se différencie plus par des sens supérieurs, plus aiguisés (voire extralucides), mais par un usage, un rapport différent à ses propres sensations. Nous allons voir que, pour Bergson, l'artiste perçoit encore pleinement ce que nous ne voyons pas, ce que nous ne voyons plus, ce que nous avons désappris à voir.
Turner, Tempête de neige
Remarquons dès l'abord que ce n'est pas seulement le monde extérieur que l'oeuvre d'art nous nous réapprendre à voir : c'est aussi notre monde intérieur ; en nous aussi il est des choses que nous occultons, dont nous ne prenons pas conscience ; et l'art peut nous réapprendre à les percevoir.
C'est bien ce que nous indique la deuxième phrase du texte : "Les grands peintres sont des