L'oeuvre de lahontan
Malgré tout ce qu'on a dit ou écrit, l'œuvre de Lahontan est habituellement fiable, comme le fait ressortir l'annotation critique de ses Œuvres complètes publiées en 1990. Qu'il s'agisse, par exemple, de l'attaque de Québec par l'amiral Phips en 1690, des rapports interethniques amérindiens de l'administration de la colonie, ou de la faune et de la flore de l'Amérique du Nord, son témoignage concorde habituellement avec les sources les plus crédibles(NOTE 2).
En France et au Canada, on ne lui a pas pardonné la violence de ses attaques contre la colonisation française et le pouvoir contraignant du clergé. En même temps, on a mis les Dialogues avec un chef huron sur le même pied que ses autres textes, refusant d'y voir des entretiens philosophiques. En réalité le discours d'Adario, son protagoniste, n'a rien du traité ethnographique. Devançant de cinquante ans celui de Rousseau, il affirme que les maux physiques et moraux viennent de la propriété privée. En accumulant plus que leur nécessaire, les riches jettent les pauvres dans la misère et le malheur, sans devenir plus heureux, puisqu'ils vivent dans la crainte de perdre leurs possessions et qu'ils suspectent jusqu'à leurs parents et amis. Chez les Hurons, au contraire, l'égalité sociale et la vie simple leur épargne d'être esclaves de deux grandes passions propres aux sociétés civilisées : l'ambition et l'avarice. Chez eux, hommes, femmes et enfants partagent cette liberté. Les filles, « maîtresses de leur corps », ne subissent pas la domination parentale, contrairement aux Européennes que leurs pères obligent à épouser des hommes qu'elles « haïssent mortellement ». Le sentiment amoureux lui-même exclut toute sorte d'esclavage et sauvegarde la liberté du cœur: les Hurons n'éprouvent pas « cette sorte de fureur aveugle que nous appelons amour » (p. 669) et ils ne connaissent pas non plus l'indissolubilité du mariage chrétien qui brime la liberté.
Cette vive critique de la civilisation