L'écume des jours
« Les Éditions Gallimard, n'arrivant pas à vendre L'Écume des jours, refusèrent les romans suivants. Le milieu littéraire parisien ne l'a pas compris. Trop de pitreries, trop de dispersion, pas assez de dépression. Boris Vian a eu le tort de dire que son œuvre était « une projection de la réalité en atmosphère biaise et chauffée sur un plan de référence irrégulièrement ondulé et présentant de la distorsion ». Il s'est mis à dos tous ceux que Rabelais appelait les « argélastes »
(les allergiques à la rigolade). (...) La France est un pays où l'on punit les écrivains qui s'amusent.
L'Automne à Pékin ne parle ni d'automne ni de Pékin : c'est du nouveau roman. L'Herbe rouge est la première auto-fiction, bien avant Serge Doubrovsky. J'irai cracher sur vos tombes, c'est du James Baldwin… six ans avant que James Baldwin ne publie son premier roman. Et puis il y a L'Écume des jours, écrit en trois mois, juste après la guerre. Son meilleur livre, de loin. (...) La démarche de Vian donne raison à Breton et tort à Sartre qui opposait roman et poésie (le roman seul capable d'affronter le monde, la poésie comme volonté de lui échapper) : Boris Vian est l'homme qui, au XXe siècle, a fusionné les deux. Prenons au hasard une phrase de L'Écume des jours : « Les souris de la cuisine aimaient à danser au son des chocs des rayons des soleils sur les robinets et couraient après les petites boules que formaient les rayons en achevant de se pulvériser sur le sol, comme des jets de mercure jaune. » Prose ludique de plaisantin centralien ? Beauté de la synesthésie baudelairienne ? Humour absurde digne de Lewis Carroll ?
Déconnades de potache neuneu ? Rien de tout cela : cette phrase décrit simplement des rayons de soleil qui se reflètent sur un évier, et des animaux qui jouent avec la lumière réfléchie au sol. Tout le monde a déjà vu un chat essayer d'attraper un