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Texte :
Londres
Il nous fallut huit grands jours pour faire le trajet de Paris à Boulogne car il fallut nous arrêter dans les villes principales et donner des représentations pour constituer notre capital*. Mais à Boulogne, nous avions encore trentedeux francs, largement assez pour payer notre voyage.
La vue de la mer ne plut pas du tout à Mattia ; je lui avais pourtant souvent répété que la mer est la plus belle chose que l’on puisse voir dans le monde.
« Ce n’est pas du tout ce que tu disais. Peut-être que c’était bleu et ensoleillé, la Méditerranée, mais ici, c’est une affreuse masse d’eau froide, verdâtre, grisâtre, avec d’horribles vagues jaunes. »
(…) Hélas, Mattia fut horriblement malade pendant le voyage tandis que je lui avais parlé du charme des voyages en bateau.
Il est vrai que je lui avais parlé des seuls bateaux que je connusse, du seul, même, le Cygne qui voguait doucement sur les canaux unis ! Alors que notre petit paquebot * dansait comme un bouchon sur la boule de la Manche* ! Et comble de malheur, en un sens, je n’vais pas le mal de mer !
« Et tu n’as même pas mal au cœur, toi ! me disait Mattia épuisé et à demi penché sur le bastingage*, je comprends tout, les Anglais n’ont pas de cœur !
Oh la la ! Cela recommence ! »
Le supplice du pauvre Mattia ne dura heureusement plus de quelques heures. A l’aube, nous remontions tranquillement la Tamise.
( …) Accoudé au bastingage, je regardai le spectacle. Que de navires ! Que de mats ! Je n’aurais jamais supposé que l’on put rassembler autant de navires au même endroit ! Si Bordeaux m’avait surpris, j’avoue que le port de Londres m’émerveilla ! Quel malheur que Mattia ne voie pas ce spectacle, ces rives bleuâtres, ces docks*, ces entrepôts !
Malheureusement, le brouillard, un horrible brouillard jaune, se leva bientôt et me dissimula cet étonnant spectacle.
Enfin, nous débarquâmes : nous étions à Londres !
Hector Malot
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« Sans famille »
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