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J'avais parfois des coups de fatigue et de découragement, mais je ne tardais jamais à retomber dans mon hilarité. Mon tonneau des Danaïdes ne cessait de se remplir de chiffres que mon cerveau percé laissait fuir. J'étais le Sisyphe de la comptabilité et, tel le héros mythique, je ne me désespérais jamais, je recommençais les opérations inexorables pour la centième fois, la millième fois. Je me dois au passage de signaler ce prodige : je me trompai mille fois, ce qui eût été consternant comme de la musique répétitive si mes mille erreurs n'avaient été diverses à chaque fois; j'obtins, pour chaque calcul, mille résultats différents. J'avais du génie. Il n'était pas rare qu'entre deux additions je relève la tête pour contempler celle qui m'avait mise aux galères. Sa beauté me stupéfiait. Mon seul regret était son brushing propret qui immobilisait ses cheveux mi-longs en une courbe imperturbable dont la rigidité signifiait : "Je suis une executive woman." Alors, je me livrais à un délicieux exercice : je la décoiffais mentalement. A cette chevelure éclatante de noirceur, je rendais la liberté. Mes doigts immatériels