Autorité Diderot
Aucun homme n’a reçû de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, & chaque individu de la même espece a le droit d’en joüir aussi-tôt qu’il joüit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle : mais la puissance paternelle a ses bornes ; & dans l’état de nature elle finiroit aussi-tôt que les enfans seroient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d’une autre origine que de la nature. Qu’on examine bien, & on la fera toûjours remonter à l’une de ces deux sources : ou la force & la violence de celui qui s’en est emparé ; ou le consentement de ceux qui s’y sont soûmis par un contrat fait ou supposé entr’eux, & celui à qui ils ont déféré l’autorité.
La puissance qui s’acquiert par la violence, n’est qu’une usurpation, & ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent ; ensorte que si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts, & qu’ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit & de justice que l’autre qui le leur avoit imposé. La même loi qui a fait l’autorité, la défait alors : c’est la loi du plus fort.
Quelquefois l’autorité qui s’établit par la violence change de nature ; c’est lorsqu’elle continue & se maintient du consentement exprès de ceux qu’on a soûmis : mais elle rentre par là dans la seconde espece dont je vais parler ; & celui qui se l’étoit arrogée devenant alors prince, cesse d’être tyran.
La puissance qui vient du consentement des peuples, suppose nécessairement des conditions qui en rendent l’usage légitime, utile à la société, avantageux à la république, & qui la fixent & la restraignent entre des limites : car l’homme ne doit ni ne peut se donner entierement & sans reserve à un autre homme ; parce qu’il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. C’est Dieu, dont le pouvoir est toûjours immédiat sur la créature, maître aussi jaloux qu’absolu, qui ne